Savard, Bergevin et les joueurs québécois : les chiffres ne mentent pas
Depuis qu’il a pris sa retraite, l’ancien membre du Temple de la renommée et directeur général du Canadien Serge Savard n’hésite pas à dire à tout le monde ce qu’il pense de la situation lorsqu’on on l’interroge sur son ancienne équipe. Pour les journalistes, Savard est un bonbon car il dit ce qu’il pense et, avouons-le, il a une certaine crédibilité. Après tout, il est le dernier directeur général à avoir apporté Lord Stanley à la franchise la plus glorieuse de la LNH, et il l’a fait deux fois, en 1986 et 1993. Mais parfois, on a l’impression que « le sénateur » aime s’entendre parler et que ce qu’il dit ne tient pas toujours la route. C’est particulièrement le cas lorsqu’il parle des joueurs canadiens français du Canadien.
Savard est un ami proche de la famille Molson et Geoff Molson l’a engagé comme consultant personnel lorsque l’équipe était à la recherche de son dernier directeur général. C’est lui qui a aidé Molson à choisir Marc Bergevin comme nouveau directeur général au printemps 2012. Mais lorsqu’il est question de langue, l’ancien numéro 18 a plutôt critiqué le travail de Bergevin pour le manque de Québécois dans l’équipe. En effet, lors d’une entrevue au 5 à 7 de RDS, il a déclaré avoir averti Bergevin de l’importance de dépister des joueurs québécois.
“Je lui ai dit, mais j’imagine qu’il n’a pas écouté. Je lui ai dit que les gens le laisseront gagner en anglais, mais qu’ils ne le laisseront pas perdre en anglais…” – Serge Savard
Pour de nombreuses personnes plus pragmatiques, comme votre serviteur, cette déclaration n’a pas été bien accueillie. Il semble que le paysage a changé depuis le milieu des années 80, le milieu des années 90 et aujourd’hui. Jusqu’à présent, je n’avais pas de chiffres solides sur lesquels me baser. Nous savions qu’il y avait plus d’équipes aujourd’hui. Mais en faisant des recherches approfondies, j’ai réalisé à quel point les commentaires de Savard étaient irréalistes, injustes et franchement déconnectés de la réalité. Pour être juste, je doute qu’il sache à quel point il est irréaliste, mais voici les faits. Croyez-le ou non, je ne présente qu’une partie des recherches que j’ai effectuées, sans vouloir vous ennuyer avec des chiffres. Mais tout cela va dans le même sens.
La Ligue Canadienne de Hockey
La LCH est formée des trois principales ligues de hockey junior du Canada : la Western Hockey League (WHL), la Ontario Hockey League (OHL) et la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ). Pendant longtemps, ces trois ligues ne s’adressaient qu’aux joueurs nés au Canada. Puis, les trois ligues ont modifié leurs règles en autorisant les « étrangers ». Aujourd’hui, chaque équipe de la LCH est autorisée à habiller et à faire jouer un maximum de deux joueurs étrangers chaque saison, qui sont sélectionnés chaque année par le processus de repêchage des joueurs importés de la LCH. Il y a 60 équipes dans la LCH : 22 dans la Ligue de l’Ouest, 20 dans la Ligue de l’Ontario et 18 dans la LHJMQ. Cela représente donc 120 joueurs étrangers à travers le Canada. 120 enfants canadiens ne peuvent donc pas jouer et se développer dans les meilleures ligues juniors de leur propre pays ! Pas étonnant que quelqu’un d’aussi patriotique que Don Cherry soit contrarié par cette situation.
De plus, la LNH fait plus que jamais du dépistage à l’étranger et dans les collèges américains. Plus d’équipes américaines signifie plus de joueurs nés au Canada qui jouent aux États-Unis et qui ont des enfants qui jouent au hockey aux États-Unis. Tous ces facteurs contribuent au fil du temps à la diminution du nombre de joueurs nés au Canada dans la Ligue nationale de hockey, et ce, même sans tenir compte des importations. Si j’avais poussé la réflexion plus loin, il y aurait encore moins de joueurs canadiens repêchés, car ces joueurs importés sont souvent des talents de haut niveau (Ex : Artemi Panarin).
Avant de regarder les chiffres, je les ai séparés en deux « époques ». Savard a été directeur général des Canadiens de 1983 à 1995, tandis que Bergevin est directeur général à Montréal depuis 2012, de sorte que sa dernière sélection remonte à 2020. Voici deux faits évidents :
- Il y a plus d’équipes dans la LNH présentement qu’à l’époque de Savard
- Il y a moins de rondes au repêchage pour permettre à une équipe de choisir
J’ai pris le nombre de tours par an sous chaque DG, je les ai additionnés et j’ai fait une moyenne. J’ai fait de même pour le nombre d’équipes, d’où les fractions. Sans plus attendre, regardons quelques chiffres, voulez-vous ?
Entre 1983 et 1995, chaque équipe a eu 4 tours de repêchage de plus qu’entre 2012 et 2020. Il y avait environ huit (8) équipes de plus dans la LNH entre 2012-2020 qu’entre 1983-1995. Cela représente huit équipes de plus qui parlent avant vous pour le prochain tour, huit joueurs de plus sélectionnés entre chacun de vos choix, huit joueurs de moins disponibles… à chaque tour. Au septième tour de la Draft d’aujourd’hui, c’est plus de 50 joueurs de moins qui étaient disponibles pour votre équipe lorsque c’est à son tour de parler.
Ligue par ligue
Maintenant, portons notre regard sur les performances de chacune des trois ligues spécifiquement.
Oh regardez, le pourcentage de LHJMQ a augmenté ! Bonne nouvelle, non ? Attendez.
La LHJMQ et les Québécois
Ces chiffres de la LHJMQ ne disent pas tout. Voyez-vous, puisque les discussions ne portent pas sur le nombre de joueurs sélectionnés dans la LHJMQ, mais plutôt sur le nombre de Québécois sélectionnés par le CH, je suis allé plus loin dans mon étude. Regardons tous les joueurs sélectionnés dans cette ligue et enlevons les joueurs étrangers. J’ai également retiré les joueurs des Maritimes qui ne sont pas francophones. Oui, c’était beaucoup de travail (et de recherches), mais je ne voulais pas faire les choses à moitié. Voici donc ce que j’ai trouvé…
Le pourcentage de Québécois a baissé de plus de 2 %. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que l’arrivée de plus de joueurs européens et américains dans la LHJMQ fausse les statistiques de la ligue. Plus d’Européens jouent et sont sélectionnés dans la LHJMQ par les équipes de la LNH, mais moins de Québécois. Cela signifie que la LHJMQ produit beaucoup moins de talents locaux au Québec. De plus, il y a eu sept (7) Québécois de moins par équipe entre les deux époques. Par équipe, les gars. Pas seulement chez le Tricolore.
Conclusion
Alors, M. Savard… voici un résumé de ma recherche, que j’ai compilé pour vous, oui, mais aussi pour le petit groupe d’individus politiquement motivés au Québec, qui s’en prennent aux Canadiens et à leur directeur général actuel pour ne pas avoir fait preuve de diligence raisonnable dans le choix des produits locaux.
- Bergevin a quatre tours de moins que Savard pour choisir des joueurs.
- Il y a huit équipes de plus sous Bergevin que sous Savard, donc huit équipes de plus qui choisissent entre chaque sélection.
- Le nombre de joueurs de la LCH a considérablement diminué depuis Savard.
- Il y a moins de Québécois repêchés dans toute la LNH que jamais auparavant (pas seulement le Canadien).
- Il y a moins de Québécois dans la LNH qu’à l’époque de Savard, dans toute la ligue.
- Les chances de repêcher un Québécois sous Bergevin ont presque diminué de 40% depuis l’époque de Savard (0,31% à 0,19%).
Vous voulez pointer un coupable du doigt ? Il faudrait peut-être adopter une approche plus éclairée et pointer du doigt la LHJMQ à la place. J’irais même plus loin en affirmant que Hockey Québec fait un très mauvais travail en ne fournissant pas le talent nécessaire pour alimenter le Q également. Le problème, M. Savard et compagnie, n’est PAS Bergevin et les Canadiens. C’est à la LHJMQ et à Hockey Québec de travailler main dans la main pour aider à promouvoir les jeunes joueurs à revenir au jeu. Et c’est à ces ligues de s’assurer du bon développement de ces jeunes hommes avec un bon ratio pratique/jeu et une meilleure formation des entraîneurs, en se concentrant sur les compétences plutôt que sur les systèmes pour gagner des matchs. Les chances seront toujours pires qu’elles ne l’étaient sous Savard, mais il y aura au moins plus de choix, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Go Habs Go !
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