Nous sommes tous des kids !
Hey, mon grand, viens par ici. Approche, viens voir papa un instant. J’ai quelque chose à te dire. Tu veux que je tienne ta liqueur chaude et ton hot dog froid ? Veux-tu t’asseoir sur un manteau ou tu es bien sur ce siège aussi confortable qu’une gastro-entérite ? Non, tu es correct ? Tu es sûr ? Super.
Si je veux te piquer un brin de jasette pendant que tous les habitants de la ville de l’aréna sont un peu laissés à eux-mêmes, un peu comme quand tu es au téléphone et que tu attends et entends chaque instant : « Votre appel est important pour nous. Veuillez demeurer en ligne afin de conserver votre priorité d’appel… » Tu sais… Juste avant que reprenne la musique d’ascenseur ? Oui, ça m’arrive souvent. Oui. Il faut dire que papa est important pour beaucoup de gens, surtout quand il a du mal à payer ses comptes…
Écoute, probablement que ça ne te dérangera pas ce que je vais te dire pendant que tu es absolument absorbé par l’écran de ta tablette, au même titre qu’un goglu qui disparaît peu à peu dans le verre de lait jusqu’à temps qu’il n’en reste plus rien, mais je tiens à te parler. Le hockey, comme Jason Momoa pour maman, ça me met dans tous mes états… Non, papa n’a pas besoin de changer de sous-vêtements par contre… Surtout pas quand je porte mes caleçons chanceux…
Je te vois discuter avec tes amis de l’école qui, comme nous, se sont ramassés ici tout de suite après le souper comme s’il n’y avait aucune autre option possible et ça vient me chercher de vous voir. Il me semble qu’il n’y a pas si longtemps, un printemps ou deux, ou une éternité plus un jour, c’était moi qui étais à ta place. Sauf qu’à la place d’une tablette, je tenais une trompette et une crécelle…
Oui, c’est vrai que ça mange mal, mais à l’époque, les bouchons de bouteilles n’étaient pas considérés comme une arme potentielle, donc on y avait encore droit dans les gradins…
Il n’y a pas si longtemps, ou c’est seulement une question de perspective, un peu comme une illusion d’optique de laquelle je serais prisonnier dans le même style que les supposées images en trois dimensions cachées derrière un design répétitif lesquelles, pour les voir, il fallait les fixer en se forçant les yeux à vouloir se les expulser de leurs orbites, j’étais persuadé, moi aussi, que le hockey que je voyais de mes yeux de ti-cul était le meilleur jamais joué dans l’histoire de l’humanité. Sais-tu quoi ?
Je crois encore aujourd’hui la même chose…
Je crois que Yannick « Ti-cul » Tremblay, Mathieu Dandenault et Christian Dubé pourraient relancer l’attaque du Canadien… Oh, et Simon « Bidas » Robidas et David « Chico » Chicoine pourraient tenir les autres tranquilles. Ensuite, en arrière, tu flanques Jocelyn Thibault entre les deux poteaux. Boum, la Coupe est à nous. Pour animer la foule en délire, on n’a pas le choix de ressortir Atoucou, la mascotte des Faucons de Sherbrooke. Un peu comme quand tu fais livrer de la poutine, un soir où ça ne te tente pas de cuisiner, ça ne peut juste pas échouer. Personne ne va dire : « Ah, je voulais tellement un chou kale bouilli… Pas de la délicieuse poutine… » Non, avec tous ces joueurs qui ont marqué mon enfance, qui m’ont donné la piqûre, qui m’ont contaminé avec la fièvre du hockey, c’est clair que la Coupe est à nous. À défaut de pouvoir remporter la Coupe Stanley, nous pourrons toujours nous rabattre sur la coupe de vin ou la coupe de cheveux…
En même temps, je ne peux m’empêcher de regarder le regard moqueur que me jetais mon père, ton grand-père, quand je lui criais avec la même passion et la même fougue qu’un converti que c’était la meilleure équipe de l’histoire de l’humanité et de l’histoire de l’univers plus une planète. Si, moi, je m’extasiais devant Christian Dubé et David Chicoine quelques années auparavant, mon père avait eu les mêmes yeux qui débordent d’étoiles devant Daniel Chicoine et Normand Dubé, des véritables légendes du hockey, à Sherbrooke. Toi, aujourd’hui, tu regardes Joshua Roy et Xavier Parent avec exactement les mêmes yeux, les mêmes qui scintillent dans mon visage quand je vois ta mère… Oui, lors des vendredis poutines…
Sais-tu quoi ? C’est beau. Ça me touche de te voir les yeux pleins de magie. Un peu à l’image de la carrière d’Alain Choquette. C’est clair qu’il y a une explication rationnelle et logique à ce phénomène, mais au fond, pourquoi vouloir à tout prix tuer la magie ? On ne peut pas la revendre, ni la manger, ni même s’en faire une peau avec laquelle on décorera le foyer… Les personnes âgées qui y vivent feraient un cigare de saut, en la voyant…. Pourquoi vouloir expliquer la magie ? Pourquoi vouloir disséquer la fleur pour en expliquer le parfum ?
Personnellement, je crois que la création de doux souvenirs est un peu comme une éclipse, une rencontre entre deux planètes, une rencontre qui n’arrive pas souvent. La première constellation nécessaire au phénomène est ta paire de yeux de ti-cul. Si tu revoyais les mêmes joueurs, les mêmes matchs, avec des yeux « qui en ont vu d’autres », tu n’aurais certainement pas le même regard. Sais-tu quoi ? C’est parfait ainsi. Que cela ne paraisse ou non, tout le monde ici, dans cet aréna où il y fait toujours la température du grand Nord québécois… Celle de juillet… A déjà été, un jour, en couleurs ou en noir et blanc, un enfant… Avec des yeux d’enfants. Tout le monde ici, même s’ils ne l’avoueront jamais, se sont déjà dit la même chose que toi. Ceux qui refuseront de l’avouer essaient aujourd’hui de traquer et tuer la magie. C’est comme ça.
C’est un peu comme quand papa récoute des émissions ou des films qu’il écoutait quand il était petit dans le temps où il fallait rembobiner la cassette et mettre la télévision au trois pour que ça fonctionne. Mon dieu que souvent, je me demande si c’est vraiment cette émission que j’écoutais tant je trouve que c’est mal fait et limite ennuyant. Sais-tu quelle est la principale différence, entre quand je l’écoutais en direct et maintenant ? Oui, maintenant, je peux faire une pause, pour aller aux toilettes. Non, farces à part, ce sont les yeux avec lesquels je regarde la même émission. Si c’est vrai que la beauté réside dans l’oeil de celui qui regarde, c’est tout aussi vrai pour la magie qui est associée au « program ». Désolé, il fallait que ça rime.
Autant que j’ai l’air de banaliser, voire de dire que c’est risible, cette magie qui transforme des bons joueurs de niveau junior en de futures légendes de la Ligue nationale de hockey, je suis convaincu qu’elle est nécessaire. Tôt ou tard, les traqueurs de magie seront nombreux et affamés, avares que tu vois la vie avec leurs yeux gris. Plus tu vieilliras, plus tu te rapprocheras de l’âge adulte, plus tu verras des faits, des souvenirs, avec un regard différent. Jusqu’à un certain point, c’est correct. C’est ça, vieillir. Un jour, tu devras te montrer plus lucide. C’est ce qui te donnera par la force des choses un comportement plus rationnel, posé et raisonnable, histoire de bien veiller sur les tiens, de ne pas attendre que ton oncle inconnu du Kenya qui vient de décéder te transfère toute sa fortune parce que tu viens de lui envoyer tes coordonnées bancaires, pour payer l’épicerie ou de ne pas te dire « j’ai écrit « Amen » en-dessous d’une photo de Bouddha, donc je vais bientôt trouver une mallette remplie d’argent ou de partager la photo d’une Mercedes qui est tirée sur Facebook… Bref, tu vois?
Néanmoins, peu importe à quel point tu seras un adulte cartésien, pragmatique et plate, l’enfant en toi ne sera jamais bien loin. Comme mon patrimoine génétique qui coule en tes veines, il coulera toujours en toi. Cet enfant, c’est toi… Sauf qu’un jour, cet enfant aura des tonnes de factures à payer… Ce qui le rendra beaucoup plus raisonnable, mais ça ne prendra pas grand chose pour que cet enfant enfoui sous une montagne de désillusions et de douleurs aux genoux quand « ils annoncent du méchant temps » reprenne le contrôle. Par exemple, l’été dernier, lorsque les Canadiens se sont rendus en finale de la Coupe Stanley, il y a des millions d’enfants qui ont repris vie, car ça ne prend qu’une étincelle de magie pour redonner vie aux gamins endormis. À l’image de l’univers de Harry Potter, il n’y a pas deux formules magiques qui nécessitent les mêmes ingrédients ou la même formule. Plusieurs souvenirs, plusieurs contextes, plusieurs histoires peuvent redonner vie au kid qui sommeille en nous. Par exemple : quand je vois une « craque de trottoir », quand je passe devant mon ancienne école primaire, quand je vois un vidéo de ton grand-père qui n’est plus avec nous, quand je vois que les Power Rangers vont refaire un nouveau film… Ne fais pas ça. N’écoute jamais les nouvelles versions des classiques d’avant. Bon, on dirait que je suis devenu, malgré moi, un traqueur de magie, moi aussi…
« J’m’excuse, p’pa. Qu’est-ce que tu disais ? Je jouais à Minecraft avec ma Switch? »
Ah, rien… Je ne disais rien, mon grand…
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Crédit image entête, Hockey360