L’heure du deuil annuel

Voilà. C’est fait. Comme chaque année. Plus rien. Arborant toujours mon chandail du Phoenix de Sherbrooke. J’ai encore ma casquette sur la tête comme si j’attendais que quelqu’un vienne m’aviser que ce n’est qu’un cauchemar. Non. Encore une fois, « mon club », celui que j’ai encouragé pendant près d’une trentaine d’années se retrouve en vacances. Il a été vaincu.

 

À l’image d’un deuil dit normal, ou celui qui suit le décès d’une personne vivante, mais qui ne l’est plus, il y aura beaucoup d’étapes à traverser. Oh, je n’oserais jamais me comparer à une personne endeuillée. Il y a toujours bien des limites à chercher de l’attention… Mais la déception est vive. En un clin d’œil, mon popcorn salé et tiédi accompagné de ma liqueur réchauffée par ma main qui la tient ne me font plus envie. Pouf, comme après un coup de baguette.

L’humain est un être foncièrement masochiste. L’Homme aime souffrir. Je ne sais pas s’il croit encore que ça lui permettra d’emprunter la voie de gauche pour accéder au paradis parce qu’il s’est infligé lui-même des souffrances inutilement. Je suis là. Moi, qui aurais toutes les raisons de sortir du Palais des Sports Léopold-Drolet au plus vite, je reste là. Comme si mes souliers usés et détachés s’étaient enracinés dans le béton froid typique d’un aréna. Je reste là et je regarde l’équipe gagnante, les Islanders de Charlottetown, festoyer. Les casques, les gants et les bâtons volent dans tous les sens. Mon Dieu, on dirait mes enfants qui rentrent de l’école. Les accolades sont senties. Les cris de joie fusent de partout. Je ne suis pas bilingue, mais je comprends même ceux des joueurs anglophones. Autour de leur filet, c’est l’hystérie, le triomphe et la célébration inhérents à la victoire âprement obtenue.

De l’autre côté de la surface glacé, toujours dans le même fuseau horaire, c’est l’hécatombe autour du cerbère vaincu, Ivan Zhigalov. Lui qui s’était emmené en remplacement de Robillard qui avait connu de bonnes séries éliminatoires, il n’avait pas pu changer la donne. En même temps, combien de fois, quand on est ti-cul, on nous rappelle que c’est un sport d’équipe. Si on gagne en équipe, on perd de la même façon. Comme le disait le légendaire entraîneur Herb Brooks dans le film « Miracle », le nom devant le maillot est infiniment plus important que celui derrière le même maillot. C’est consternant à quel point, à l’intérieur de la même glace, deux réalités diamétralement opposées s’embrassent à bouche-que-veux-tu. D’un côté, il y a la dopamine qui explose de tous les pores de peau des joueurs qui se sont battus comme des gladiateurs. Honnêtement, ils sont tellement heureux que si la dopamine avait une odeur, ça empesterait le bonheur.



De l’autre côté, c’est une ambiance de messe funèbre. Comme lors d’une messe de funérailles, des tas de réactions coexistent. Il y a ceux qui se laissent aller et pleurent à chaudes larmes. Ils savent qu’on n’est plus en 1942, et que les hommes ont maintenant le droit de pleurer. Autour de ces personnes qui n’en peuvent plus d’avoir été fortes trop longtemps, il y a ceux qui souffrent tout autant, mais qui ont encore la force de garder leurs morceaux collés. Peu importe l’année que nous sommes, ils ne veulent surtout pas s’effondrer devant tout le monde. Un peu à l’image du chef d’un clan, ils savent que leurs coéquipiers, même après la sirène finale, même après le son du glas, ont encore besoin d’eux.

Une fois que la sirène a fait entendre son chant similaire à celle d’un bateau qui se rapproche de la terre ferme, ça n’a plus seulement rapport au hockey. Une fois que le dernier grain de sable a fugué du loft du haut du sablier, il n’y en a plus de hockey. Dès cet instant, ça ne concerne que les êtres humains qui se cachent sous les épaulettes. C’est de ceux-là qu’il faut prendre soin, alors qu’il ne reste plus rien.

Toujours spectateur passif devant ce triste spectacle où cohabite la victoire et la défaite, la rage de vivre et la mort, l’extase et le désarroi, je m’attarde à deux joueurs encore assis au banc du Phœnix. Les deux, comme moi, semblent paralysés par ce coup du sort, celui qui sort l’équipe qui s’est pourtant battue si fort, juste avant la mort, la mort des espoirs et du parcours en séries éliminatoires. Je les reconnais; ce sont les deux joueurs de 20 ans. Ces derniers vivent leurs derniers moments dans le hockey junior. Ce fut un beau passage, que celui dans la LHJMQ, mais c’est terminé. Ils auraient certainement préféré que ça se termine autrement, mais ce n’est pas de la lutte. On ne peut pas réécrire la fin. Pour ces deux jeunes hommes, pour la première fois, depuis qu’ils ont chaussé des patins, ils se retrouvent devant rien, rien et son copain, l’incertitude. Oh, c’est sûr qu’ils ont des plans, mais qu’est-ce qui arrive des plans quand une équipe professionnelle daigne offrir une chance inattendue à un joueur? Bien souvent, il arrive la même chose qu’aux manteaux des enfants qui arrivent de l’école… Ils prennent le bord. En même temps, beaucoup resteront raisonnables et prioriseront d’avoir un plan B, un « au cas où… », une alternative lorsqu’il ne sera plus possible de jouer au hockey… Car nous ne sommes pas tous des Jagr pour jouer éternellement.



Dans les gradins, l’ambiance est lourde comme tout ce que j’ai mangé au fil du match maintenant coincé dans le trafic de mon estomac. La tête baissée, la mine résignée et l’air déconfit, les spectateurs quittent l’amphithéâtre. À l’image des fins de soirées, au cours de cette année à la température bipolaire, c’est très froid autant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il y a quelques minutes, nous étions plus de 4 000. Pourtant, le silence est si lourd. Ce n’est pas un silence des enfants qui se lèvent tard un samedi matin, mais plus comme celui d’une personne furieuse qui se tait plutôt que de dire ce qui ne se dit pas. De l’autre côté, nous regardons cette personne se battre contre l’orage qui fait rage à l’intérieur, mais cette personne ne veut surtout pas que les torrents et la foudre se rendent jusqu’à nous. Non, il est beaucoup plus sage de se battre jusqu’au retour du soleil. Il faut cependant tenir bon comme les joueurs des « Oiseaux ». Pour la plupart, il s’agit d’une des pires journées de leur vie. Oui, ils ont tous déjà été éliminés, mais cette année, tous les espoirs étaient permis. Cette année, aucune autre formation ne semblait imbattable. Cette année… Ça n’était pas sans rappeler le parcours d’il y a deux ans où le Phœnix avait remporté la Coupe Jean-Rougeau, le trophée remis à l’équipe championne de la saison régulière. Cette année-là, absolument personne ne pouvait arrêter les Oiseaux… Sauf la pandémie. Alors que la formation sherbrookoise trônait au sommet des équipes juniors au pays, le virus a débarqué et a mis fin à toute cette saison de rêve. Exactement lorsque les Expos de Montréal connaissaient la meilleure campagne de leur histoire, ils menaient même leur division, mais toute la fin de saison et les séries éliminatoires ont été annulées en raison d’un conflit de travail. Plus jamais, les « Amours » ne connurent une saison semblable. Et s’il n’y avait jamais eu de conflit de travail? Nous ne le saurons jamais…. comme dans le cas du Phoenix…

À travers la tristesse et la déception, un peu partout dans les gradins, comme des fleurs à travers la neige, des spectateurs affublés d’un chandail noir et or, célèbrent bruyamment, comme s’ils voulaient que les joueurs de leur équipe favorite les entendent… Ou était-ce pour narguer les partisans de l’équipe éliminée? Ou peut-être est-ce un mélange des deux? En même temps, si j’avais roulé pendant 10 heures pour assister à ce match, moi aussi, je m’en donnerais à cœur joie. Si je trouve ça pénible me rendre à Montréal, imaginez lorsqu’on doit changer de province…

Pour les joueurs de Stéphane Julien, les étoiles étaient alignées, mais le ciel s’est obscurci. Lorsque les nuages se sont dissipés, il était trop tard. Le problème est que, lorsqu’un tel moment se produit dans les rangs juniors, il faut absolument saisir l’opportunité, car les joueurs de 20 ans ne l’auront plus l’année d’ensuite. Comme il ne s’agit pas d’une cassette VHS qu’on peut mettre sur « pause » le temps d’aller à la salle de bain, les joueurs continuent de vieillir, peu importe ce qu’il advient de la saison de hockey, car il ne faut jamais oublier que, une fois que la sirène a fait entendre son chant tonitruant, les joueurs redeviennent des hommes. À ce qu’on raconte, il existe une vie à l’extérieur du hockey.



Toc. Toc. Toc. Les derniers bancs encore baissés se relèvent, lorsque les derniers spectateurs se lèvent de leur place, la glace est maintenant dégagée. Il n’y a plus d’euphorie ni de tragédie. Non. Il ne reste qu’une glace froide comme une amère défaite. Il ne reste plus qu’une poignée de statues… Comme moi. Peu à peu, je sens mes jambes qui frétillent. Le béton de l’aréna me redonne tranquillement mes godasses et ma mobilité. Si mon corps peut bouger, mon cœur, lui, cherche encore toutes ses pièces. Si je me fie aux casse-tête des enfants, je lui conseille de jeter un œil sous le divan ou dans le garde-manger. Ne cherche à compter. Just go with the flow. C’est ce que je cherche à faire moi aussi. Certaines paroles sont malheureusement plus faciles à dire qu’à faire. D’autres, par contre, sont beaucoup plus complexes à dire… Comme l’acronyme CHSLD, ou de répéter rapidement : papier, panier, piano. Quoi qu’il en soit, peu importe les mots qui se retrouvent affublés à cette triste soirée d’un printemps timide, je dois avancer avant que la sécurité ne vienne me dire « coucou ». De toute façon, peu importe le temps que je passe à mon banc qui n’est plus le mien, une fois que la sirène a poussé son cri….mais pas la petite sirène; nous ne sommes pas… Sous l’océan!

Mes souliers pourtant conçus pour la course, mais utilisés seulement pour faire les courses semblent aussi lourds que l’ambiance, ce silence, cet écho qui répète les silences. Les murs de béton froid répercutent le vide à l’infini. La glace, toujours aussi froide, se contente de répondre avec la moue qu’on lui connaît. Avec la glace, on sait à quoi s’en tenir. Elle, elle s’en moque de qui tu es. Elle ne changera pas pour personne. C’est à prendre ou à laisser. Comme le résultat du match de ce soir. Même si je rejouais le même affrontement avec mon Play Station, ça ne changera jamais ce qui se passe dans le vrai monde, ce qui se passe juste au-dessus de la frigide dame de glace.

Pendant que je me dirige vers la sortie, j’essaie de chercher le positif dans toute cette histoire. Je pense à Joshua Roy qui a fait vibrer le Québec, même les haters qui ne l’avoueront jamais. Après tout, c’est ça, un hater. C’est bien correct ainsi. Moi, je ne joue pas dans cette équipe et, même dans la défaite, je ne veux rien savoir de changer d’équipe. Si tu ne peux les soutenir quand ils perdent, ne les encourage pas quand ils gagnent.

C’est curieux, il n’y a pas si longtemps dans ma tête, il n’y avait qu’une voix sereine et positive. On dirait que, maintenant, elle a été rejointe par d’autres voix. J’entends une fraction de mon moi qui critique le travail des arbitres. J’entends une autre voix qui espère que l’autre équipe sera éliminée au prochain tour. Une autre voix plus mélancolique se dit qu’on ne reviendra plus dans cet amphithéâtre réputé et gorgé d’histoire avant l’automne prochain. Moi qui étais seul dans ma tête. C’est maintenant le plus complet des Capharnaüms cacophoniques. Je me croirais dans un Cora le dimanche matin. Tout le monde veut parler plus fort que son voisin afin d’être entendu… Je veux deux œufs brouillés, s’il vous plaît!



Trop épuisé pour tenter de crier à mon tour parmi toutes ces voix qui s’entrechoquent comme des autos tamponneuses, je préfère fermer doucement la porte de mon cœur ennuagé. De souhaiter du mal à qui que ce soit, de critiquer des professionnels de qui je ne ferais jamais le métier, de laisser prendre le dessus à toutes ces émotions négatives ne m’apportera jamais rien. Jamais de nourrir de la rage ne changera quoi que ce soit à la réalité. Ce n’est pas parce que la vie m’offre un cactus que je dois délibérément m’asseoir dessus. Les pensées négatives n’empêchent pas le mauvais d’arriver. Elles ne font qu’empêcher de profiter du bon, comme une fichue belle soirée de hockey, qu’importe comment elle s’est conclue.

Je suis maintenant rendu devant la porte séparant les gradins du lobby. Je me retourne une dernière fois. J’ai un léger sourire en coin en pensant à tout le beau qui s’en vient pour le Phoenix. L’équipe est honnêtement entre très bonnes mains. Stéphane Julien a été en lice pour l’entraîneur de l’année et le directeur général de l’année. Il y aura encore un bon noyau de joueurs qui sera de retour l’an prochain. Même dans la défaite, j’ai raison d’être fier de « mon » équipe. Si cette saison fut mémorable et exaltante au possible, les prochaines le seront tout autant.

Pendant que seul comme un grand garçon, je franchis pour une dernière fois le lobby que j’ai traversé des milliers de fois dans les 35 dernières années, je dois reconnaître que les Islanders ont tout un club. La victoire, ils ne l’ont pas volée. Si je peux reconnaître que, dans la défaite, les Oiseaux ont vendu chèrement leurs plumes, je dois reconnaître que l’équipe victorieuse est une formation fichtrement redoutable… Mais ici s’arrête les hommages, car à l’automne prochain, comme le Phoenix et comme Terminator… Je reviendrai.

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En Prolongation

Légendes d’hier, légendes de demain


Crédit image entête, CHL



David Leboeuf
 

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