Le plaisir de jouer

Je sais que je l’ai répété à quelques reprises, mais je suis fièrement natif de l’Estrie et j’y habite encore bien niché dans les montagnes et sur le bord des « borders » américaines. S’il y a une autre personnalité du monde du hockey qui fait rayonner l’Estrie depuis près d’une trentaine d’années, c’est Jocelyn Thibault, l’ancien gardien de but des Nordiques, du Canadien, des Blackhawks, des Sabres et des Penguins. Pour le commun des mortels, il est davantage connu comme celui qui a été échangé en retour de Patrick Roy dans cette transaction qui est fort probablement la pire de l’histoire de la glorieuse concession montréalaise.



En même temps, attention : cette déclaration assassine ne se veut en aucun cas un désaveu envers les compétences du cerbère ayant joué son hockey junior à Sherbrooke, alors que l’équipe s’appelait « les Faucons », mais Patrick Roy est, selon l’avis de plusieurs, le meilleur gardien de but de l’histoire. Presque n’importe qui aurait emprunté le chemin inverse aurait porté la même infâme étiquette. Mine de rien, au fil de sa carrière, même s’il n’a pas toujours (souvent) joué pour des puissances de la Ligue, Thibault a su maintenir une moyenne de buts alloués de 2.75 ainsi qu’un pourcentage d’efficacité de 90.4%, ce qui, somme toute dans les circonstances, est très respectable, car les Canadiens, les Sabres et les Blackhawks du début des années 2000 n’étaient pas des puissances. C’est peu de temps après, avec un certain Corey Crawford et plusieurs autres vedettes, que Chicago est devenue la puissance des années 2010 qu’on connait aujourd’hui, celle qui recherche désespérément à retourner au sommet.

Je reviens souvent avec cette triste réalité, qui est souvent l’apanage du CH, mais ce n’est pas simple être un gardien quand la brigade défensive ainsi que les attaquants n’apportent aucune aide. Au même titre que ceux qui martèlent que Gerry Cheevers n’aurait jamais été intronisé au temple de la renommée s’il n’avait pas pu compter sur un certain Bobby Orr pour l’aider à repousser les attaques adverses. En ce sens, une grande partie de moi aimerait voir le Carey Price en forme protéger la cage d’une puissance de la Ligue Nationale, juste car il le mérite. Pendant tout au long de sa carrière, combien de fois il a pu compter sur une équipe qui a trôné au sommet du classement général ? En plus de devoir, chaque jour, faire fi des innombrables commentaires acerbes des partisans ?

Dans un cas comme dans l’autre, Thibault et Price partagent ce combat : celui de constamment devoir protéger une mince avance, celui de n’avoir pratiquement aucun droit à l’erreur. Plus encore, si Jocelyn Thibault est autant apprécié ici, en Estrie, c’est d’abord et avant tout pour l’homme qu’il est, pour ses nombreuses réalisations à l’extérieur de la glace, dont sa plus notoire est certainement d’être parvenu à ramener le hockey junior à Sherbrooke. Aidé par ses amis et ses relations d’affaires, il est parvenu à créer le Phoenix de Sherbrooke après une absence de presque dix ans au Palais des sports. Et encore, il ne s’est pas contenté de seulement ramener une équipe, il l’a emmenée au sommet. Il a d’ailleurs été nommé, en 2020, directeur général de l’année. Si, toutefois, vous avez oublié pourquoi le Phoenix n’a pu mettre la main sur aucune Coupe, tant celle du Président que la Memorial en 2020, je vous invite à lire mon texte « Les « si » mangent les rêves » à ce sujet.



Si je vous parle de lui, comme ça en ce début du printemps 2022, c’est que dans le cadre de ses fonctions de directeur général de Hockey Québec, lui qui a obtenu ce poste après avoir cédé son rôle de directeur général du Phoenix de Sherbrooke à l’entraîneur chef émérite de la formation, Stéphane Julien, il a clamé haut et fort que sa priorité était de remette le plaisir de jouer à l’avant-plan. Je dois avouer que ça m’a beaucoup secoué, autant que ça m’a touché. C’est vrai au fond; quand on regarde le hockey à la télévision, on oublie trop souvent que tout ce beau monde, sur la glace, a commencé à jouer au hockey pour le simple plaisir de la chose.

En même temps, je ne suis pas dupe: avec tous ces millions de dollars, voire ces milliards de dollars impliqués collectivement, tant en commanditaires, en salaires, en billets, en marchandise et en tout ce qui tourne un temps soit peu autour du hockey, c’est très ardu de se rappeler que ce n’est qu’un jeu, car si l’équipe ne gagne pas, il y aura plusieurs hommes et femmes d’affaires qui, eux, n’auront pas beaucoup de plaisir…

Il y a quelque chose de triste, dans cette dichotomie qui oppose les jeunes enfants qui jouent dans la cuisine, dans la cour d’école, dans la rue, à la patinoire du quartier ou absolument n’importe où il y a un minimum d’espaces et quatre objets pour délimiter des buts … Et les athlètes que nous voyons à la télévision, ceux qui s’entraînent jour et nuit depuis près de 20 ans, ceux qui, tant la semaine que la fin de semaine, ont un bâton de hockey entre les mains, ceux à qui on a consenti des millions de dollars donc ils sont maintenant condamnés à l’excellence, sinon ce qui les attend, c’est la disgrâce éternelle jumelée à la méchanceté la plus pure de la part des amateurs de partout dans le monde.

À quel âge se fait le passage, ce pernicieux glissement du jeu jusqu’au travail de tous les instants ? En même temps, il va de soi que le changement ne s’opère pas en un claquement de doigts, sinon n’importe qui réagirait. Si, du jour au lendemain, le petit Théo n’avait plus aucun plaisir à jouer, mais il le faisait néanmoins, car il avait une blonde, des enfants et des parents à payer, une hypothèque et une luxueuse voiture à payer, probablement qu’on lui dirait de se détendre un peu avant de se payer un « burn out » à huit ans.

Je ne l’ai évidemment jamais essayé, mais j’ai déjà lu que,si l’on trempe une grenouille dans un chaudron d’eau bouillante, elle tentera à tout prix de s’en sortir. Toutefois, si on la trempe dans un chaudron d’eau de température ambiante, puis que, graduellement, on monte la température jusqu’au point d’ébullition, elle ne tentera pas de se sauver et en mourra. Ce n’est pas aussi tragique, dans le cas des joueurs de hockey qui n’ont pas toujours du plaisir, mais ça illustre bien mon point : c’est impossible de réagir, lorsque le changement s’effectue de façon lente et graduelle.



Bon, il est vrai que je n’ai jamais joué dans aucune équipe de hockey ailleurs que par le biais d’une console de jeux vidéos, mais moi, si vous me parlez de hockey, je repense…

À ces milliers de soirées, avec mes cousins, à jouer au mini-hockey dans la cuisine…

À quand je jouais dans la rue, avec tous les enfants du quartier et mon père qui m’encourageait de la fenêtre de notre appartement…

À ces journées entières à jouer à la patinoire à côté de l’école primaire jusqu’à ce qu’il fasse tellement noir qu’on ne voie plus la rondelle…

À toutes ces fois où, dans la cour de l’école pour former les équipes, tout le monde lançait son bâton au milieu pour que le tas soit divisé de façon aléatoire…

À quand je portais le chandail de Stéphane Richer et, le temps d’un instant, j’étais le vrai de vrai Stéphane Richer…

À quand je marquais le but victorieux et quand, le temps d’un instant, j’étais le héro national de la cour d’école…

À toutes ces Soirées du hockey chez mes cousins le samedi soir. Chaque samedi, nous étions tous les trois assis devant la grosse télévision en bois. Maintenant, c’est moi qui invite mes neveux le samedi soir à écouter le match …

Pour moi, le hockey, ça sent : la magie, l’enfance, l’innocence, le plaisir le plus pur, le bonheur le plus simple et le plus accessible au monde. Pour moi, quand on joue au hockey, on est tous « dans la même équipe ». En ce sens qu’il n’y a pas de classes sociales ou de guerres sur la patinoire. Pour moi, la seule chose qui divise les gens au hockey, c’est de quel côté de la patinoire a été lancé ton bâton.

Je n’en ai peut-être jamais parlé de façon explicite, mais il y a deux équipes que j’affectionne particulièrement.

Non, je vous rassure, la deuxième n’est pas les Bruins de Boston.

L’autre équipe du circuit Bettman que j’aime beaucoup, ce sont les Hurricanes de la Caroline. Oui, cette année, ils connaissent une saison extraordinaire, mais plus encore, c’est exactement cette équipe qui m’a rappelé, il y a quelques années, que le hockey était à la base un jeu. De par sa définition, un jeu est censé être amusant.

Comme beaucoup d’autres, je me suis entiché du Canadien de Montréal, pourquoi ? C’est le genre de valeur ou de caractéristique qu’on inculque, moi le premier avec mes enfants, avant même que l’enfant puisse nommer ou verbaliser quoi que ce soit. Bien froidement, je crois que ça naît d’une question de proximité géographique. L’équipe de Montréal est, dans le cas de plusieurs, l’équipe la plus près de chez nous, celle de qui on suit les moindres faits et gestes. C’est donc facile, voire naturel, de développer un amour doublé d’un sentiment d’appartenance face à cette équipe. Puis, avec le temps, cette caractéristique qui nous est venue subtilement, depuis que nous sommes au monde, devient naturelle ou acquise au même titre que celle de détester les équipes rivales de notre équipe chouchou. Plus encore, il est normal, jusqu’à un certain âge, que les enfants recherchent l’approbation de leurs parents. Ainsi, chez nous, mes enfants ne jurent que par le Canadien, comme leur père et surtout leurs amis. Eux aussi, ils veulent être cool. En même temps, je suis passé par là aussi, il y a quelques années… C’est ce même schème qui explique que, dans certaines familles, c’est tout l’opposé : au sein de certains clans, on voue une haine viscérale au Canadien. Cette acrimonie est transmise des parents aux enfants. Parfois, lorsqu’ils seront un peu plus vieux, les enfants développeront leurs propres opinions. Parfois non et c’est parfait ainsi. Par exemple, ici, mon plus vieux a décidé que son équipe préférée était les Flyers. Ça va lui passer… Je rigole.



Toutefois, si j’aime autant l’équipe évoluant à Raleigh en Caroline du Nord, c’est que contrairement au Canadien qui a toujours accordé un soin jaloux, si ce n’est pas maniaque, à son image: parfaite, sainte, immaculée et glorieuse, les Hurricanes, ou comme Don Cherry les appelle, les « Bunch of Jerks » n’ont pas peur de s’amuser, de rire, de faire des folies. Ce n’est pas la messe, ni une bibliothèque.

S’il y a un moment de radio que je n’oublierai jamais, c’est lorsque Martin Lemay, un chroniqueur hockey que j’adore, a parlé des Hurricanes, lorsque ces derniers ont commis l’outrage d’éliminer Ovechkin et les Capitals en 2019, après avoir tiré de l’arrière dans la série. Il ne faut pas oublier qu’en 2019, les Capitals étaient les champions en titre, car c’est en 2018 qu’Ovi a finalement remporté « sa » Coupe face aux surprenants (et nouveaux) Golden Knights. Il y avait donc déjà beaucoup de pression, sur les épaules du « Tsar » et ses coéquipiers. Au cours de cette intervention, Lemay relatait les nombreuses publications dans lesquelles les « Jerks » se moquaient du « Gr8 » en tentant de lui faire perdre sa concentration et de le provoquer  Il relatait même qu’on aurait dit que les Canes ne savaient pas comment ça marchait un match de hockey tant ils étaient toujours debout au banc à encourager et taper sur la bande avec leur bâton. Et que dire de leurs célébrations d’après-match ? C’est d’ailleurs ce qui a fait réagir le diplomate et sobre Don Cherry.

Voilà, c’est exactement ça. C’est de ça dont j’avais besoin pour me rappeler ce qu’est le hockey à la base, avant que les millions de dollars n’entrent en ligne de compte.

Plus encore, les Hurricanes ont probablement l’équipe des réseaux sociaux la plus efficace de la Ligue. Fidèles à eux-mêmes, ces derniers semblent toujours prêts à lancer une farce ou à répondre avec une réplique assassine. Je ne sais pas si vous l’aviez vu, mais depuis 2019, où le CH a soumis une offre hostile à Sebastian Aho, il se passe une petite gageure entre les deux clubs. Je crois personnellement que d’être venu chercher Kotkaniemi n’est qu’un autre chapitre de cette rivalité, surtout quand on se souvient que ces derniers ont accordé un bonus à la signature de 20 dollars au joueur finlandais, pour remémorer le numéro de Aho. Sans parler du site Internet qui a été lancé temporairement, en octobre dernier, lorsque les Canes ont vaincu un Canadien déjà résigné. Ce site internet portait le nom sans équivoque de « didthehabslose » sur lequel on vendait notamment des chandails de KK et de Aho et où le code promotionnel était « oui ».



Encore mieux qu’une publication grinçante ou une réponse qui laisse tout le monde sans mot, avez-vous vu passer l’information quand les Canes ont fait un don à la fondation du Canadien de Montréal pour l’enfance avec la mention « nous sommes peut-être une bande de « Jerks », mais nous nous soucions de la communauté. Dans le cadre de la journée internationale de la gentillesse, les Hurricanes de la Caroline ont fait un don à la Fondation des Canadiens pour l’enfance. »

Voilà, au risque de me répéter, c’est exactement de ça dont j’avais besoin : une équipe qui me rappelle que c’est plaisant le hockey. Si tous ces joueurs sont ultimement arrivés à la Ligue nationale, c’est qu’ils ont, un jour, commencé pour le simple plaisir de la chose. Wayne Gretzky lui-même en a parlé à quelques reprises avec émotion de cette patinoire que son père, le regretté Walter Gretzky, entretenait derrière chez lui à Brantford en Ontario sur la rivière Nith. C’est là où le fils a appris à jouer et où le paternel à donné ses premiers conseils. C’est sur cette eau gelée où s’est embrasée la flamme dévorante de l’amour de ce si beau sport.

Oui, je comprends qu’il y a énormément de dollars en jeu, mais… Gang, si on se faisait une petite partie tous ensemble ? Allez, lançons tous nos bâtons au milieu de la glace…

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En Prolongation

Quand les « si » mangent les rêves…


Crédit image entête, USA Today



Sources:

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Jocelyn_Thibault

https://www.notinhalloffame.com/hockey/current-hockey-hall-of-fame-inductees/1980s-inductees/1985-hockey-inductees/2680-gerry-cheevers

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Corey_Crawford

https://www.latribune.ca/2021/09/19/jocelyn-thibault-dans-la-course-pour-succeder-a-paul-menard-a-hockey-quebec-80c59e5cfddda2170b420a5bae86f8b8?nor=true

https://www.rds.ca/hockey/lhjmq/lhjmq-jocelyn-thibault-phoenix-de-sherbrooke-directeur-general-de-l-annee-1.7483081

https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=2164106613753164&id=116769008486945&sfnsn=mo

https://www.letemps.ch/sciences/sommesnous-cuits-grenouilles-bouillies#:~:text=%C2%ABPlongez%20une%20grenouille%20dans%20une,jusqu’%C3%A0%20se%20retrouver%20bouillie.

https://www.thescore.com/nhl/news/2224408

https://www.lesoleil.com/2021/03/05/walter-gretzky-le-pere-de-la-merveille-rend-lame-a-82-ans-video-680ceec0601e74dec38bbe8482f8425c

David Leboeuf
 

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