Je suis un collectionneur

Lévis, 1986.

Les filles jouent à la corde à danser ou à l’élastique. De toute façon, je m’en fous. Je suis en
première année et les filles? Beurk!!! La plupart des garçons autour de moi jouent quant à
eux au ballon, courent et crient comme s’il n’y avait plus de lendemain. Bref, c’est un jour
d’école comme les autres. De mon côté, j’attends sagement avec mes amis l’entrée en
classe, que nous espérons tous la plus tardive possible, même si nous savons que le
moment fatidique est pour arriver, incessamment.

En attente du tintement du glas, mes amis et moi avons beaucoup mieux à faire. Les
additions et l’écriture cursive peuvent attendre, car tous mes sens sont sur le qui-vive. Bien
logées au creux de mes poches, mes mains tiennent doucement, mais fermement le petit
emballage ciré que je viens de me procurer à la Tabagie Tremblay. Douce escale sur le
chemin de l’école.

J’y suis. C’est le moment que j’attendais enfin. Je le sors de ma poche et mon regard fixe
l’objet de convoitise et mes amis, attroupés autour de moi me supplient de l’ouvrir au plus
vite. Mes mains obtempèrent sans que je résiste, car je veux leur montrer ce que j’ai
«pogné»…

Tous mes sens s’excitent. Ma tête anticipe et part en vrille, l’adrénaline dans le plafond…
Mario Lemieux, Peter Stastny, Wayne Gretzky… Qui sait ce que me réserve cette petite pile
de feuilles de carton poudrées de poussière de sucre provenant de la gomme balloune qui
trône sur le dessus de cette même pile? Mes pupilles se dilatent et contemplent ce que j’y
vois: Mario Lemieux!

À cette époque, je me foutais que ce soit sa première ou sa deuxième carte, je n’étais pas
encore un collectionneur avisé: c’était pour moi Mario le Magnifique, simplement, au creux
de ma main.

Voilà mon plus ancien souvenir que j’ai du monde des cartes de hockey. Je paierais cher
pour revivre cette précieuse matinée.


AVERTISSEMENT.
LE PASSAGE QUI SUIT CONTIENT DES SCÈNES QUI POURRAIENT CHOQUER LE
COLLECTIONNEUR EN VOUS. JE PRÉFÉRAIS VOUS EN AVERTIR.

La jeunesse amène son lot d’expériences et d’apprentissages. «D’erreurs», disons-le.
Le hockey, on en mangeait. Quand on ne s’achetait pas de cartes de hockey, on y jouait
dans la rue ou à la patinoire, sinon, on parlait de la partie des Nordiques du samedi soir, ou
encore, on se répétait sans cesse des scènes et des répliques de la série Lance et Compte.
Premiers sacres et premières paires de fesses vues à la télé (rires de gamin).

Voici donc la macabre scène. Mon ami et moi sommes assis par terre, face à face, de part et
d’autre du long couloir du sous-sol.

Musique de tension, saccadée, style Psycho.

Nous poussons la rondelle noire du jeu de hockey sur table dans des buts placés au sol…
avec nos cartes de hockey… sur le tapis commercial rugueux!

Allègrement, passionnément et violemment, la victoire y est âprement disputée. Ça travaille
fort dans (sur) les coins, il n’y a pas de prix pour gagner la mini-coupe Stanley en plastique
(dont l’effet chromé commence à faire défaut). Il faut souffrir pour gagner, quitte à jouer
blessé!

Plusieurs éclopés ont joué durant cette série intense:
Mario Lemieux RC (1985-86): blessé aux coins supérieurs droit et inférieur gauche
Joe Sakic RC (1989-90): blessure gardée secrète. Haut de la carte
Patrick Roy RC (1986-87): amputation de la partie inférieure droite

Il y a des drames pires que d’autres, disons-le.

Seule question qui me reste en tête trente-cinq ans plus tard: où étaient les Dave Babych,
Ken Daneyko ou encore Al Secord quand j’avais besoin d’eux! Chose certaine, si j’avais à
refaire mon line-up pour remporter la p’tite coupe de plastique, il serait bien différent
aujourd’hui!

Outre la naissance de mes enfants et le jour où j’ai rencontré ma femme, tous ces souvenirs
racontés plus haut sont de ceux que je chérirai pour toujours. Bons et moins bons, ils font de
moi ce que je suis.

Aujourd’hui, grâce à la COVID-19, j’effectue donc mon retour au jeu après plusieurs années
à l’écart.

Je suis collectionneur.

– Par Sebastien Roy




Tirage !
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Crédit image entête, NHL.com



Invité Spécial
 

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