Le triste secret du succès: perdre. Et perdre encore – Par Martin Gascon
Moi, mon seul problème avec la puissance que sont devenus les Maple Leafs, c’est que le seul move que Toronto a fait, c’est de perdre. Et perdre encore.
Comme dans la nouvelle NHL les perdants sont les gagnants (Pittsburgh, Chicago, Edmonton, Toronto et maintenant Buffalo qui s’en vient), le seul moyen de devenir aussi bien nanti, c’est de perdre.
Et perdre encore.
Jusqu’à ce que tu aies 3-5 superstars en devenir et qui te coûtent des peanuts pour la période où tu vas les évaluer pour choisir ton noyau des 10 prochaines années.
Rendu là, tu attires tous les meilleurs dirigeants car tu as le plus beau panier de jeunes pousses et c’est extrêmement motivant comme défi pour les meilleurs. Faire un « toutcequireste » sans pression, c’est facile. Faire un plat gastronomique aux attentes élevées avec les meilleurs ingrédients, ça c’est tough, mais ça attire les meilleurs. Mais ces meilleurs, tu les as attirés en perdant. Parce ce que ce qui les attire chez vous, c’est ce que tu as obtenu en perdant.
Pendant ce temps-là, les clubs qui essaient de gagner de la façon normale, c’est-à-dire de ne pas passer par la défaite pour obtenir des avantages, se retrouvent en eaux troubles dès qu’une petite instabilité vient les ébranler. Ils n’ont aucune marge de manoeuvre, ou presque. Car pour en avoir, ça prend un peu de chance.
Dans cette parité complète qu’est devenue la NHL, 14 ans après l’instauration du plafond salarial, un club qui perd un des gros morceaux de sa masse salariale en début/première moitié de saison est quasi-foutu. C’est pour ça qu’on voit des équipes comme Tampa être un contender un an, out l’autre année et un contender encore.
Ce qui me gosse, c’est que le système de la business ne va pas avec l’essence de son produit. Le hockey est un sport de gagne, sans quoi il n’existe juste pas. On entre donc dans la performance pour en arriver à un résultat. Il se doit d’être « drivé » par la quête de l’excellence, et non pas par un ajustement vers le bas, qui ne sert que la gestion financière au final.
Je n’écris pas pour défendre le DG du CH. J’écris juste pour dire comment j’ai personnellement du mal à « admirer » ces concessions qui font saliver la majorité, alors qu’elles sont toutes les plus grandes perdantes des 25 dernières années et que c’est exactement ça qui les a propulsées au top du présent. Pour ma part, la business est à l’envers du sport qu’elle vend.
Je passe souvent pour l’avocat de Marc Bergevin, mais en fait, j’essaie juste d’emmener un peu de perspective. Je trouve qu’à Montréal, le public en manque un peu, ce qui n’aide pas à la communication avec le Grand Club qu’il aimerait tant avoir.
Les deux groupes sont sur deux fréquences différentes. et surtout, – attention! – je ne blâme aucunement les fans. Je blâme plutôt les différentes Églises qui se sont bâties entre les deux, c’est-à-dire tous ceux qui sèment des théories 24 heures sur 24 sur tous les faits et gestes de ceux qui essaient de construire quelque chose.
Dans toute cette gang-là, il y en a en masse qui seraient capable d’expliquer tout ça aux plus grands fans de hockey sur la terre, mais personne ne le fait.
Quand le CH essaie de le faire, il fait rire de lui par les prêtres.
Quand le CH décide d’arrêter d’essayer d’expliquer aux prêtres, ces derniers sont contrariés et reviennent à la charge.
Le CH se ferme, les fans paient la note et ne sont pas contents. Mais personne ne comprend pourquoi et comment on en arrive là.
Je crois que Montréal est dans le pire marché pour la business dans laquelle il fait affaire. Le modèle de parité stricte de la NHL visant l’égalité et non l’équité rend les Habs, pour ma part bien sûr, handicapés.
Je m’explique: Montréal fait partie d’un mini-groupe qui a bâti ce sport et surtout, cette ligue. Pas juste ce qu’elle est, mais ses racines, ses valeurs, son lustre… bref, tout. Si le hockey existe maintenant à Las Vegas, c’est que des équipes comme le CH ont été des ambassadeurs monstres pendant 100 ans. À travers tout ça, il est normal que son fan base suive le rythme et devienne le plus gros, le plus exigeant et le plus passionné.
Le CH a habitué ses consommateurs à se voir proposer/fournir un produit haut de gamme, ce qui se fait de mieux dans le milieu. Mieux encore, il a été au coeur des innovations du sport; c’est ce qui a assuré son succès tout au long. Son modèle a fait de lui la Mecque du hockey. Et dans sa Mecque, le CH offrait l’expérience auquel le consommateur était en droit de s’attendre.
Jusqu’en 2004.
Depuis, le CH ne peut plus utiliser cet avantage qu’il a mis 100 ans à acquérir, à mériter. Ses partners de business actuels n’ont pour ma part aucun respect envers le leader monumental qui leur a simplement permis d’exister. Le CH ne peut plus offrir le produit qu’il a enraciné dans les gènes de générations pendant 100 ans.
Il ne peut plus offrir l’expérience “Ferrari ou Louis Vuitton” du hockey que ses consommateurs demandent, car ils ne veulent rien savoir d’une Corolla qui passe peut-être 15 hivers, mais 15 hivers ordinaires.
Cependant, ces modèles ont été retirés du marché. Maintenant, si tu veux en avoir une plus performante, prends-en juste une neuve! Elle a plus de jus! Pas grave si t’es pauvre, on va te financer (perds 4-5 ans de suite, le partage des revenus va combler tes pertes) et ensuite, tu reprendras la route. Pour tous ceux et celles qui voudriez entretenir votre auto, essayez, si vous voulez! Mais on va réglementer les pièces de façon à ce que vous soyez limités dans vos réparations.
Pour la solution, je ne connais pas assez les détails et nuances de la business qu’est la NHL. Mais une chose est sûre, c’est qu’un modèle de cap salarial dur n’est pas le bon. Un cap mou comme dans la MLB aurait beaucoup plus de sens. Ou encore, un modèle MLS avec ses joueurs de franchise qui ne comptent pas sur la masse salariale. J’aime mieux la MLB, mais bon.
Ces modèles permettent une meilleure gestion sportive, ou du moins beaucoup plus près des valeurs des sports. Les Yankees ne gagnent pas chaque année, mais peuvent tout de même offrir l’expérience de La Mecque de son sport et justifier son prix et ainsi continuer de faire avancer le sport et le faire innover. En payant une taxe de luxe selon le montant dépassé sur la masse, toutes les autres équipes y gagnent également. Ça permet aux Yankees de continuer à opérer sainement dans leur propre marché et satisfaire leur public, peu importe la condition. Même en saison perdante, on pourra apprécier le talent de grands joueurs.
Le CH s’est bâti selon un autre modèle que celui dans lequel il évolue présentement. Ce modèle ne lui permet pas d’opérer sainement dans son marché. En concret, ça donne quoi, un cap mou, pour le CH? Ça donne que tu peux surpayer des joueurs Québécois pour les attirer dans la jungle qu’est Montréal. Tu peux ajouter des joueurs qui ne font pas mal à ta gestion d’opération et qui aident le produit que tu offres en période de maigres résultats. La relation entre le CH et ses consommateurs devient beaucoup plus saine et crée un momentum positif et un environnement beaucoup plus propice aux résultats.
Les équipes qui n’ont pas cet avantage reçoivent les compensations via une taxe de luxe versée au partage des revenus. Équité. Chaque marché peut évoluer sainement chez lui sans bénéficier d’un avantage démesuré par rapport aux autres. Bref, on pourrait en parler toute la journée!
Et je n’ai même pas touché à tout ce que le modèle actuel crée comme problèmes dans la profession individuelle d’un joueur de hockey: le milieu n’existe plus. Le plafond salarial permet de payer tes stars pour la glace et surtout pour faire vivre ta concession… et le bas, c’est-à-dire des exécutants de plus en plus jeunes dont on réglemente le salaire pour s’assurer de la main d’oeuvre de qualité médiocre/bonne.
Quand tu arrives à l’âge du métier, que tu devrais être justement récompensé, si tu ne t’es pas élevé au niveau d’une vedette, tu seras remplacé par le même modèle de voiture, mais plus jeune! Le hockey d’équipe devient donc plus individualiste… normal, car la nature de cette business engendre inévitablement cette culture.
La NHL devient du même coup non pas la ligue avec les meilleurs joueurs, mais les meilleurs joueurs disponibles selon le modèle de gestion.
C’est peut-être payant, tout ça, mais je déteste!
Hockeyment vôtre,